Cet article est extrait de Planète Robots n°7 (Janvier 2011)
Nous n’allons pas tenter de donner une réponse définitive — personne n’en est actuellement capable. Cette petite introduction va apporter un début de réflexion sur un thème que nous allons étudier dans un prochain dossier. Afin de lancer le débat, nous allons poser quelques questions à deux de nos journalistes — chacun ayant une sensibilité et des idées bien différentes sur le sujet…
Fiche technique : Towanda
Catholique et musicienne, elle apprécie la science-fiction comme les nouvelles technologies et utilise couramment des robots domestiques. Esprit spirituel. Possède une grande sensibilité artistique. Série préférée : Monk.
Fiche technique : Screetch
Athée et informaticien, il apprécie également la science-fiction comme les nouvelles technologies et utilise couramment des robots domestiques. Esprit scientifique. Geek dans l’âme. Série préférée : I.T. Crowd.
Planète Robots : Un robot peut-il prétendre un jour à la vie ?
Towanda : Je ne le pense pas. Il faudrait déjà définir ce qu’est la notion de « vie ». Pour ma part, je pense que seuls des êtres biologiques (plantes, animaux, humains…) peuvent porter la vie. Ils connaissent une évolution… Le physique et la psyché changent pour certaines espèces tout au long de leur existence. Ces êtres ont la capacité de se reproduire et la mort est toujours l’aboutissement de la vie.
Screetch : Le cerveau de l’animal et celui de l’être humain sont seulement, par principe, des ordinateurs très évolués. De plus, ils utilisent un système binaire, comme les ordinateurs actuels. En effet, les neurones communiquent entre eux en envoyant un message chimique (ou pas) — c’est tout ou rien ! Les microprocesseurs d’aujourd’hui fonctionnent exactement de la même façon, mais des travaux sur l’informatique quantique permettront d’avoir des processeurs à signaux analogiques et donc bien plus évolués que nos cerveaux humains dans leur principe de fonctionnement. Mais nous en sommes encore bien loin. Recréer une complexité semblable à celle de notre cerveau prendra du temps, mais il n’y a aucune raison que l’on n’y arrive pas…
Towanda : Un robot serait donc une copie d’un être humain !… Mais en quoi cela lui donne-t-il la vie ? Une copie, même parfaite, du cerveau humain ne veut en aucun cas dire que le robot qui en serait équipé portera la vie. Le mot « vivant » n’est pas le terme qui convient !
Screetch. : Si, un jour, nous arrivons à atteindre une certaine complexité du microprocesseur, proche de celle de son pendant biologique, le cerveau, il est fort probable que l’on puisse mettre au point une Intelligence artificielle pouvant connaître une conscience de soi. Ce sera pour moi l’un des symboles de la vie évoluée qui sera atteint…
Towanda. : Si j’appuie sur le bouton Off de mon robot, il restera dans son coin et ne pourra continuer à « vivre ». Le robot n’aura pas de conscience ou d’inconscience, il ne rêvera pas. Le jour où je voudrai le réutiliser, je rallumerai le robot. Ce dernier continuera de fonctionner sans même se rendre compte de son arrêt momentané. Le fait qu’il a été arrêté ou pas sur une certaine période ne changera rien à son utilisation. Par conséquent, l’homme maîtriserait la « vie » d’un robot sans que cela ne dérange ce dernier ! Partant de là, je ne vois pas une seule trace de vie dans le robot. Cela restera bel et bien une machine !…
Screetch : Il semble que le robot acquière cette possibilité en surplus des nôtres. C’est une sorte d’évolution… En reprenant ton exemple, l’homme peut également s’éteindre mais, effectivement, s’il n’est pas « rallumé » à temps, sa mémoire volatile ne reprendra pas toute sa place et il pourrait même perdre l’usage de nombreuses parties de son corps. Mais pour moi, cette différence ne constitue pas un argument.
P.R. : Un robot peut-il avoir une âme ?
Towanda : En tant que catholique, je ne peux pas penser une telle chose. Mon aspirateur, qui n’est rien d’autre qu’une machine, n’a pas d’âme. Mon robot aspirateur n’en n’a pas. Mon robot majordome, même s’il peut marcher et parler, n’en aura pas davantage. Cela reste une invention ingénieuse — programmée, tout simplement !
Screetch : Je suis d’accord avec Towanda, mais pour des raisons évidement différentes, en rapport avec mon athéisme. Après, cela peut changer suivant la manière dont on conçoit la définition du mot « âme ». Que nous nous bornions au côté religieux ou que l’on parle de conscience, il est fort possible que l’Intelligence artificielle atteigne ce but un jour ou l’autre.
P.R. : Admettons qu’un robot puisse atteindre l’état de vivant… Selon vous, est-ce souhaitable — ou pas ?…
Towanda : Encore une fois, tout dépend de ce que l’on entend par « vivant ». Si les robots gardent leurs fonctions utilitaires, je leur demande uniquement de m’aider dans mes tâches quotidiennes et je ne souhaite pas qu’ils aillent jusqu’à la pensée. Allons au-delà — et imaginons qu’ils puissent vivre leur vie comme les humains… Cela ferait beaucoup de monde sur notre petite Terre ! Il faudrait réinventer l’organisation générale du monde et le domaine de la politique deviendrait, à mon sens, des plus complexes. Quel chaos !!! Déjà que les hommes ont du mal à s’entendre entre eux !!!… Donc, dans tous les cas, pour ma part, ce n’est pas envisageable.
Screetch : Je vois l’évolution de l’Intelligence artificielle aller vers la création d’une vie, un jour ou l’autre. Ce sera dans dix ans ou dans un millénaire, mais nous y arriverons — ce n’est qu’une question d’avancées technologiques. Qu’on le désire ou pas, c’est une évolution logique des choses. Quant à mon souhait personnel, il est plus modéré. Tant que l’arrivée du robot ne vient pas dérégler notre fragile écosystème, au sens le plus large du terme, je n’y vois absolument aucun inconvénient. En revanche, s’ils viennent demander leur émancipation, par quoi va-t-on les remplacer lorsque nous aurons pris l’habitude de nous décharger de toutes nos tâches ingrates sur eux ?…
Ce débat est loin d’être terminé. Comme il a été dit plus haut, nous y reviendrons prochainement dans un grand dossier. D’autres questions restent à poser, d’autres visions peuvent apparaître… Notre intervenante, Towanda, est catholique, mais il existe d’autres religions et d’autres courants de pensée. Il serait intéressant par exemple de connaître l’opinion d’un bouddhiste (qui considère que chaque objet possède une âme — donc un robot en a forcément une !)…
Nous pourrons également considérer d’autres aspects de ces questions d’éthique et envisager une intrication du monde électromécanique avec le monde biologique. L’humain et le robot finiront-ils par fusionner et ainsi engendrer une nouvelle espèce ? En effet, nous commençons déjà à devenir de véritables cyborgs en équipant notre corps de prothèses robotisées. Pour le moment, cela reste purement médical, mais nous arriverons sûrement un jour à le faire pour améliorer notre condition. Il est même peut-être possible que nous puissions, dans un avenir plus ou moins lointain, remplacer certaines parties de notre cerveau et y ajouter de la mémoire quand cette dernière deviendra défaillante… Et si un robot revêtait un jour un aspect biologique, grâce à la culture et à la multiplication des cellules, cela changerait une fois de plus le débat !
Toutes ces questions passionnantes seront débattues dans un prochain numéro de Planète Robots.
Tout ce qui ressemble à de la vie ne relève pas forcément du domaine du vivant !…
Même dans le cadre naturel, tous les scientifiques ne sont pas d’accord à ce propos. Un des gros points noirs de la recherche dans ce domaine est le fait que l’on se pose la question du vivant à propos du virus. Les virus possèdent des constituants en commun avec les cellules vivantes, comme un acide nucléique (ADN ou ARN) et des protéines. Cependant, selon la définition du biochimiste Wendell Stanley, les virus sont de « simples » associations de molécules biologiques. Ils sont le fruit d’une auto-organisation de molécules organiques et ne sont donc pas vivants. François Jacob insiste aussi sur cette caractéristique des virus : « Placés en suspension dans un milieu de culture, ils ne peuvent ni métaboliser, ni produire ou utiliser de l’énergie, ni croître, ni se multiplier, toutes fonctions communes aux êtres vivants. » Les virus ne peuvent se multiplier qu’en utilisant l’équipement enzymatique d’une cellule vivante. De plus, ils contiennent bien un acide nucléique, de l’ADN ou de l’ARN, mais pas les deux — à la différence des cellules vivantes.
De la même manière, les robots dits intelligents d’aujourd’hui ne sont aucunement vivants. Même si on leur prête des moyens de communication sur le plan émotionnel par le biais de traits animaux ou humains, ils font seulement semblant. Actuellement, tout passe par la programmation — une suite d’ordres donnés au robot, qu’il organisera en fonction des stimuli qu’il percevra par l’intermédiaire de ses senseurs (toucher, sons, vue). Il est capable d’interagir presque naturellement avec l’humain, mais ses réponses ne font que refléter le travail des ingénieurs qui l’ont mis au point. Le robot dinosaure Pleo, avec son air si attachant et si réaliste, n’est pour le moment qu’une machine — que l’on croit vivante à cause de notre propension à lui trouver des caractéristiques anthropomorphes.
Définition du mot « vie »
Activité spontanée propre aux êtres organisés, qui se manifeste par les fonctions de nutrition et de reproduction et qui constitue leur mode d’activité propre, de la naissance à la mort. À cela viennent s’ajouter chez certains êtres les fonctions de relation — et chez l’homme la raison et le libre arbitre.
Définition de la vie artificielle
Il est difficile de donner une définition exacte de la vie artificielle. J. Doyne Farmer a proposé, en 1990, une liste de critères qui permettent de déterminer si un système est vivant ou non…
1. La vie est une structure dans l’espace-temps, plutôt qu’un objet matériel spécifique.
2. La vie implique un mécanisme d’autoreproduction.
3. Un être vivant comprend une description de lui-même qu’il utilise pour se reproduire (exemple : ADN).
4. Un être vivant possède un métabolisme qui convertit la matière ou l’énergie de l’environnement dans des fonctions utiles à l’organisme.
5. Un être vivant interagit fonctionnellement avec son environnement.
6. Un être vivant est composé d’un ensemble de structures interdépendantes qui constituent son identité.
7. Une forme vivante reste stable malgré les perturbations dues à l’environnement (exemples : redondance des gènes, processus de guérison).
8. Les êtres vivants ont une capacité d’évolution au niveau des générations successives de l’espèce (exemple : mutation génétique).
Screetch et Towanda
Débat intéressant… Je suis plutôt du côté scientifique / athée. Et contrairement à ce que tu penses Screeeeeeetch, je ne crois pas qu’il faille des ordinateurs ultra puissants pour simuler l’intelligence…
Juste une base de donnée “neuronale” (c’est à dire qui s’adapte au feed-back) bien foutue… et le bon vocabulaire de base, à choisir avec beaucoup d’attention…