Fabrication et assemblage dans l’espace : une révolution pour l’industrie spatiale commerciale ?

Dans la course du New Space, les entrepreneurs privés et les agences spatiales gouvernementales telles que la NASA, visent à développer une industrie spatiale commerciale où les nouvelles technologies et méthodologies seraient accessibles plus rapidement et à moindre coût sur le marché. Cependant, l’industrie est aujourd’hui très dépendante de la Terre, ce qui implique un grand nombre de contraintes à prendre en compte lors du lancement de systèmes dans l’espace.

Pour résoudre ce problème, certains industriels proposent un changement radical de paradigme dans la façon dont nous concevons, construisons et lançons les systèmes spatiaux : la fabrication et l’assemblage dans l’espace. Alexandre Savin, directeur de la Business Unit Aéronautique/Spatial Défense chez Alcimed, société de conseil en innovation et développement de nouveaux de marchés, nous livre son analyse.

Par définition, cela signifie que les processus de fabrication et d’assemblage seraient réalisés dans l’espace plutôt que sur Terre. L’idée est simple : plutôt que de se concentrer sur le lanceur le plus optimisé pour envoyer des systèmes dans l’espace, pourquoi ne pas les construire directement sur place ?

S’affranchir de la tyrannie du lancement dans la fabrication et l’assemblage

Depuis toujours, l’industrie spatiale s’appuie sur le processus actuel de fabrication et d’assemblage basé sur Terre, par lequel chaque mission est limitée par un grand nombre de contraintes. Les satellites et la plupart des structures spatiales doivent s’adapter à la taille et à la forme du lanceur, passer de nombreux tests d’exigence qualité et être capables de vaincre les forces gravitationnelles terrestres. En d’autres termes, les systèmes spatiaux ne peuvent pas être construits pour maximiser les performances dans l’espace car ils doivent d’abord survivre au lancement depuis la Terre. La fabrication, ou du moins l’assemblage de structures dans l’espace, élargirait fondamentalement les possibilités, permettant aux systèmes spatiaux d’être beaucoup plus légers, plus grands et plus performants. C’est justement la mission du leader du marché Made In Space, une start-up américaine ayant lancé en 2014 la première imprimante 3D dans l’espace et effectuant ainsi la fabrication d’outils 3D en microgravité. Leur mission ne fait évidemment que commencer, puisqu’ils poussent actuellement la technologie encore plus loin et par-dessus tout, sont loin d’être les seuls dans la course…

Réinventer les capacités de la technologie spatiale

Les industriels clés tels qu’Airbus Defence and Space, Lockheed Martin, Maxar Technologies et Tethers Unlimited développent également des projets innovants pour aborder la fabrication et l’assemblage dans l’espace de différentes manières et en libérer pleinement le potentiel. Deux scénarii sont mis en évidence aujourd’hui, chacun muni de ses propres spécificités :

Combiner une technologie robotique éprouvée dans l’espace avec des capacités de fabrication additive.

Le premier scénario consiste, par exemple, à combiner une technologie robotique éprouvée dans l’espace avec des capacités de fabrication additive en ne lançant dans l’espace que des matières premières compactes et durables. Archinaut, actuellement développé par Made In Space, est une plateforme technologique permettant la fabrication et l’assemblage autonomes de grandes structures spatiales en orbite, grâce à la matière première lancée depuis la Terre et au téléchargement d’instructions de conception. Une telle technologie permettrait de déployer des antennes à grande échelle, des télescopes spatiaux géants ou d’immenses panneaux solaires capables de générer jusqu’à cinq fois plus d’énergie que les panneaux traditionnels.

Alors que ce projet devrait être lancé au plus tôt en 2022, Tethers Unlimited développe également un projet similaire appelé Spider Fab, avec la vision de créer un satellite entier en orbite, à partir du téléchargement de matières premières et d’instructions d’assemblage.

Si la question est de savoir si les robots auront une place centrale dans l’in-space manufacturing, la réponse est clairement oui ! En effet, les êtres humains seuls ne pourront pas assurer les missions : les robots assureront les opérations et l’Homme jouera davantage un rôle de supervision. Cependant cela ne sera possible qu’avec des fonctions de prise de décision autonome des robots qui ne se réduiront pas à un « bras téléopéré ». Ces robots devront aussi s’intégrer parfaitement aux contraintes spatiales et garantir toute la sécurité nécessaire pour la poursuite des opérations autour leur champ d’intervention.

Profiter de l’apesanteur pour ramener des produits de qualité sur Terre

Le second scenario consiste à profiter de l’environnement avantageux de l’apesanteur pour ramener des produits de qualité sur Terre. En effet, pour certains matériaux, la particularité de la microgravité spatiale leur permet d’atteindre une qualité jusqu’alors impossible à acquérir sur Terre.

C’est le cas par exemple de la fibre optique ZBLAN, actuellement fabriquée sur la Station Spatiale Internationale (ISS). En réduisant considérablement les imperfections grâce à la microgravité, ce produit est maintenant très convoité pour sa grande capacité de transmission de données. Cette réalisation unique a ouvert la porte à de nombreux autres projets à fort potentiel, représentant de futures activités spatiales rentables pour la Terre. En effet, la société américaine Techshot a mis au point la première installation de biofabrication 3D sur l’ISS, capable de fabriquer des tissus humains en microgravité dans l’espace. Plus précisément, le système d’auto-culture de Techshot renforce le tissu imprimé au fil du temps, au point qu’il devienne un tissu viable et solide à ramener sur Terre.

Fibre optiques, bio-impression, médecine et bien plus encore, les possibilités sont infinies. Cependant, afin que ces projets voient le jour, il est essentiel de s’armer d’un dispositif de soutien. Cela a donc poussé des projets encore plus vastes à émerger, tels que la future station spatiale privée, actuellement développée par la société Axiom Space, dans le but d’être la « future ISS » et une usine de fabrication et d’assemblage dans l’espace.

Enfin, outre les étapes cruciales restantes à atteindre pour développer la commercialisation de l’espace, ce nouveau paradigme pourrait également aider les humains à explorer au-delà de l’orbite terrestre.

Construire l’avenir de l’humanité dans l’espace : vers la Lune, Mars et au-delà…

A plus long terme, ces réalisations permettront certainement une présence humaine durable dans l’espace. Les capacités de fabrication et d’assemblage en orbite joueront un rôle important dans les activités d’exploration spatiale, telles que la fabrication d’outils sur-demande lors de missions spatiales de longue durée, l’approvisionnement en énergie durable, les habitats spatiaux… En fin de compte, les matières premières elles-mêmes pourraient venir de l’espace grâce à l’exploitation minière des astéroïdes. C’est le grand défi de certaines start-up spécialisées, comme Planetary Resources par exemple. Oui, le future « village lunaire » sera potentiellement imprimé en 3D directement à partir du régolite lunaire ! Comme dit Jeff Bezos, « Nous ne retournons pas sur la Lune pour la visiter, nous y retournons pour y rester ».

Aujourd’hui la fabrication et l’assemblage dans l’espace reste un marché émergent qui pourrait cependant définir notre avenir dans l’espace, libérer les capacités technologiques spatiales et guider l’exploration vers une approche novatrice.

Alexandre Savin, directeur de la Business Unit Aéronautique/Spatial Défense chez Alcimed.
Partagez cet article
Panier
Retour en haut