Un groupe de recherche de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) développe un programme d’apprentissage automatique en vue de permettre au cerveau humain de commander des robots. La visée principale de l’étude, dont les résultats ont été annoncés le 16 décembre 2021, est de rendre une certaine autonomie aux patients tétraplégiques en contrôlant les robots par la pensée.
Les robots, extension du corps des patients tétraplégiques
Prisonniers de leur propre corps, les patients tétraplégiques sont incapables de parler ou d’effectuer le moindre mouvement. C’est pourquoi la recherche travaille depuis des années pour développer des systèmes à même d’aider ces patients à effectuer eux-mêmes différentes tâches du quotidien. “Les personnes atteintes d’une lésion de la moelle épinière souffrent souvent de déficits neurologiques permanents” explique ainsi la professeure Aude Billard, responsable du Laboratoire d’algorithmes et de systèmes d’apprentissage de l’EPFL.
Si ces handicaps moteurs sévères les empêchent d’effectuer les plus simples, comme saisir un objet, selon la professeure, “l’aide de robots pourrait aider ces personnes à récupérer une partie de leur dextérité perdue, puisque le robot peut exécuter des tâches à leur place.” Les deux groupes de recherche ont ainsi développé des algorithmes permettant de contrôler un robot à l’aide des signaux électriques émis par le cerveau d’un patient.
Aucune commande vocale ou fonction tactile n’est alors nécessaire : les patients peuvent littéralement déplacer le robot par la pensée. L’étude a été publiée dans Communications Biology, une revue en libre accès de Nature Portfolio.
La pensée traduite par algorithme
Pour développer leur système, les chercheurs ont commencé avec un bras robotique développé il y a plusieurs années de ça. Ce bras peut se déplacer d’avant en arrière et de droite à gauche. Il peut aussi repositionner des objets devant lui et contourner les objets sur son passage. “Dans notre étude, nous avons programmé un robot pour éviter les obstacles. Mais nous aurions pu sélectionner n’importe quel autre type de tâche, comme remplir un verre d’eau ou pousser un objet”, explique le Professeur Billard.
Les ingénieurs ont commencé par améliorer le mécanisme du robot pour éviter les obstacles afin qu’il soit plus précis. “Au début, le robot choisissait un chemin trop large pour certains obstacles, l’emmenant trop loin, et pas assez large pour d’autres, le gardant trop près”, vient expliquer le professeur Billard. “Étant donné que le but de notre robot était d’aider les patients paralysés, nous devions trouver un moyen pour que les utilisateurs puissent communiquer avec lui sans parler ni bouger.”
Cela impliquait de développer un algorithme qui ajuste les mouvements du robot en se basant sur les pensées d’un patient. L’algorithme répond alors à un casque équipé d’électrodes en vue d’analyser l’électroencéphalogramme (EEG) des patients, signal de leur l’activité cérébrale.
Quand la pensée vient en aide au machine learning
Pour utiliser le système, il suffit au patient de regarder le robot. Si le robot fait un mouvement incorrect, le cerveau du patient émettra un “message d’erreur” via un signal clairement identifiable. Exactement comme si le patient disait “Non, pas de cette façon”. Le robot comprendra alors qu’il n’a pas effectué le comportement désiré ; en revanche, il ne saura pas exactement pourquoi. S’est-il trop rapproché ou trop éloigné de l’objet ? Afin d’aider le robot à trouver la bonne réponse, le message d’erreur est alors introduit dans l’algorithme. Celui-ci procède via une approche d’apprentissage par renforcement inverse. Il détermine ainsi la demande du patient et quelles actions le robot doit entreprendre.
L’apprentissage s’effectue via un processus d’essais et d’erreurs par lequel le robot essaie différents mouvements pour voir lequel est correct. En seulement trois à cinq tentatives, le robot trouve la bonne réponse et exécute les souhaits du patient. “Le programme d’IA du robot peut apprendre rapidement. Mais vous devez lui dire quand il fait une erreur afin qu’il puisse corriger son comportement”, explique le professeur Millán. Il ajoute : “le développement de la technologie de détection des signaux d’erreur a été l’un des plus grands défis techniques auxquels nous avons été confrontés”.
Selon Iason Batzianoulis, auteur principal de l’étude, “la principale difficulté de notre étude, c’était de lier l’activité cérébrale d’un patient au système de contrôle du robot. En d’autres termes, de “traduire” les signaux cérébraux d’un patient en actions effectuées par le robot. Nous l’avons fait en utilisant l’apprentissage automatique pour lier un signal cérébral donné à une tâche spécifique. Ensuite, nous avons associé les tâches aux commandes du robot afin qu’il effectue ce que le patient a en tête.”
Bientôt des fauteuils roulants par contrôle mental ?
Les chercheurs espèrent éventuellement utiliser leur algorithme pour contrôler les fauteuils roulants. “Pour l’instant, il reste encore beaucoup d’obstacles techniques à surmonter”, explique le professeur Billard. “Les fauteuils roulants posent un tout nouvel ensemble de défis, car le patient et le robot sont en mouvement”. L’équipe prévoit également d’utiliser leur algorithme avec un robot capable de lire plusieurs types de signaux différents. Il pourrait alors coordonner les données reçues du cerveau avec celles des fonctions motrices visuelles.
(c) Clinatec