Il y a maintenant sept ans, Jean-Michel Billaut, spécialiste de l’économie et de la veille high-tech, rédigeait un passionnant et visionnaire billet sur son blog, Révolution 3.0. Il y avançait l’idée selon laquelle l’homme est à l’aube de connaître sa troisième grande révolution. Pour mémoire, la première était la révolution agricole (la 1.0 : sédentarisation, apprentissage de la culture…), suivie de la révolution industrielle du XIXe siècle (la 2.0 : découverte de la machine à vapeur, du moteur à explosion, de l’électricité…) ; aujourd’hui, au début du XXIe siècle, nous serions donc en train de vivre les balbutiements d’une troisième révolution majeure — dont les conséquences affecteront profondément l’économie, la société et l’environnement. D’après Jean-Michel Billaut, la révolution 3.0 serait basée sur la convergence de quatre grands groupes de technologies — à savoir les nanotechnolgies, la biologie synthétique, les énergies renouvelables et enfin la robotique.
Bon nombre de ces secteurs ont été investis par Google ces dernières années (comme nous l’avions développé dans un article précédent, intitulé Google investit massivement dans la robotique, un pas de plus vers les NBIC ?). Au fil des rachats, la société est passée du statut de géant du Web à celui de leader dans de nombreux domaines connexes comme la robotique, l’informatique, les moteurs de recherche et l’Intelligence artificielle, les nanobiotechnologies et le séquençage ADN (dont le coût a été divisé par trois millions en dix ans)…
Google a successivement cofondé 23andMe et créé Calico. La première est une start-up spécialisée dans le séquençage ADN tandis que la seconde est une filiale qui a l’objectif fou d’augmenter l’espérance de vie de vingt ans d’ici à 2035. Forte de ses dix ans d’expérience en matière de recherche Web, elle a développé une extraordinaire capacité de concevoir de puissants algorithmes d’analyse. Cette faculté d’étudier d’importants volumes de données s’est révélée exploitable dans n’importe quel domaine ayant un modèle numérique. Prenons l’exemple du secteur de la santé, qui a donné naissance à une nouvelle discipline : la bio-informatique. Dans ce domaine, Google fournit le framework MapReduce, qui permet d’effectuer les calculs parallèles nécessaires à l’exploitation des données brutes du séquençage du génome humain pour reconstituer l’ADN. Pour elle, analyser l’homme aujourd’hui, c’est pouvoir l’améliorer demain ! L’enjeu apparaît très important quand on considère combien rapporte l’industrie de la santé — mais pour ses dirigeants, il ne s’agit pas simplement de business mais aussi d’une idéologie — comme l’explique Laurent Alexandre dans une interview donnée au JDD :
« La bataille entre le microprocesseur et le neurone a commencé, et l’Intelligence artificielle arrive à grands pas. Selon la loi de Moore, la puissance informatique double très rapidement. Le nombre d’opérations réalisées par les plus gros ordinateurs est multiplié par mille tous les dix ans et donc par un million en vingt ans. En 1950, un ordinateur effectuait mille opérations par seconde. Aujourd’hui, on atteint trente-trois millions de milliards d’opérations par seconde. Ce sera mille milliards de milliards en 2029 ! Autour de 2040 émergeront des machines dotées de la capacité du cerveau humain. Et d’ici à la fin du siècle, elles nous dépasseront en intelligence, ce qui poussera l’homme à vouloir “s’augmenter” par tous les moyens. »
L’idéologie transhumaniste des fondateurs de Google a déjà commencé à prendre une forme concrète. L’homme augmenté le sera entre autres par le biais de prothèses et une première génération est déjà en gestation dans les Google Labs. (Cette dernière a pris la forme de lentilles intelligentes destinées aux diabétiques, qui mesurent en temps réel la glycémie.) Cet exemple montre que Google a été la première société à comprendre la puissance de la révolution des technologies NBIC — à la convergence donc de quatre domaines (nanotechnologie, bio-ingénierie, informatique et cognitique) — dont les débouchés fusionneront en une seule et immense industrie. D’ailleurs, en matière de NBIC, Google a investi fortement dans le côté bio mais également redoublé d’efforts du côté de l’informatique et de la cognition, deux branches indispensables à la robotique. (Rappelons que la cognition est l’étude des mécanismes de l’esprit : elle englobe les progrès dans les neurosciences, mais aussi une compréhension plus abstraite — qui pourrait permettre la création d’Intelligences artificielles. Et pour renforcer son expertise dans le domaine, Google a racheté courant janvier 2014, la société DeepMind, fondée en 2010 par le spécialiste des neurosciences Demis Hassabis et le développeur Jaan Tallinn, à l’origine des logiciels Skype et Kazaa.
La start-up compterait un effectif de soixante-quinze employés ayant élaboré un algorithme présenté sur leur site comme « générique et multifonctionnel ». Le professeur Larry Wasserman, de l’université de Carnegie Mellon, explique plus concrètement que DeepMind tente de concevoir « un système capable de penser » en combinant machine learning et neurosciences.
Le machine learning (ou apprentissage automatique) est selon la définition de Wikipédia un des champs d’études de l’Intelligence artificielle. Cette discipline scientifique concerne le développement, l’analyse et l’implémentation des méthodes automatisables qui permettent à une machine (au sens large) d’évoluer grâce à un processus d’apprentissage — et ainsi de remplir des tâches qu’il est difficile ou impossible de remplir par des moyens algorithmiques plus classiques.
Google, non contente d’avoir connecté nos appareils, va maintenant les rendre toujours plus intelligents. De votre téléphone à votre maison en passant par votre futur robot et vos lunettes (ou encore votre voiture), tous auront leurs IA… connectées aux services de son cloud. Cela a déjà commencé aujourd’hui, avec Android couplé au service Google Now (qu’on trouve dans la majorité des smartphones et des tablettes du marché). Google Now permet de délivrer automatiquement des informations utiles et pertinentes en fonction d’un contexte que Google arrive à déterminer de façon autonome grâce à l’historique de vos recherches Internet, de l’heure, de vos habitudes de déplacement et bien sûr de votre position à l’instant T. Les capacités prédictives de ce service mobile d’assistance et d’informations pratiques pourraient encore s’enrichir grâce aux algorithmes d’analyse comportementale de Behavio, une start-up mise sur pied par trois étudiants du Massachusetts Institute of Technology (MIT). En effet, Google a embauché ses fondateurs, qui planchaient sur un système utilisant les capteurs d’un téléphone et ses données pour permettre d’appréhender le comportement de l’utilisateur et d’anticiper ses actions probables. Côté matériel, Google a lancé le projet Tango qui sera mené par l’équipe ATAP (Advanced Technology and Projects) issue du rachat de Motorola Mobility. Le but ici sera d’inclure aux smartphones de nouveaux capteurs capable de mesurer la profondeur de champ. Le smartphone sera alors capable de dresser une carte 3D de l’environnement de l’utilisateur en temps réel. Exactement le type de technologique utilisée dans le domaine de la robotique pour permettre à un robot de se repérer et se déplacer en intérieur. Une technique nommée SLAM (Localisation et cartographie simultanées).
On se prend déjà à rêver de lunettes interactives Google Glass bénéficiant de cette technologie et débouchant sur un moteur de recommandation omniscient ! De plus, si Google a commencé par rendre nos terminaux mobiles et nos objets du quotidien intelligents, ce n’est qu’un début — puisque demain cela sera sûrement le tour de votre maison… Car la société a racheté Nest Labs, spécialiste de la domotique qui vise justement à rendre l’habitat intelligent en associant automatisme du bâtiment, informatique et télécommunication. Demain, votre foyer obéira peut-être au doigt et à l’œil grâce au système Android@home…
À plus court terme, ce n’est pas votre demeure qui bénéficiera d’Android, mais votre voiture, puisque Google participe dès cette année à l’Open Automotive Alliance (OAA) en proposant une version Android dédiée aux besoins de l’embarqué. Cette version de l’OS disposera d’applications orientées « infotainment » (trafic, informations de sécurité, accès aux réseaux sociaux, etc.). Un premier pas donc vers une version grand public des fameuses Google Cars, qui sont un mélange incroyable de robotique et d’Intelligence artificielle, capables de rouler seules des milliers de kilomètres sur les routes de Californie et sans accident. Dans les années 1980-1990, on imaginait que l’irruption des voitures volantes allait se produire au début du XXIe siècle et finalement c’est resté pour le moment chimérique, tout comme l’idée d’une voiture robot autonome. (Pourtant cette dernière pourrait se démocratiser dès 2025…)
Le point commun de tous les produits de Google est qu’ils bénéficient de tous ses services et de sa capacité de trier et d’analyser l’information. La société a déjà développé une forme d’Intelligence artificielle avec le Knowledge Graph, une fonction introduite dans son moteur de recherche en mai 2012 et que Johanna Wright, chef de produit chez Google, présente de cette manière :
« Nous sommes au début d’une transformation qui va nous faire passer d’un moteur d’information à un moteur de savoir. »
Concrètement, il s’agit d’un premier pas vers la « recherche sémantique » — dont le but n’est plus de trouver du contenu uniquement à l’aide de simples mots clés et de liens, mais aussi de comprendre et d’inventer des concepts, des idées, des faits, etc. (À noter : le système est déjà capable de répondre à certaines questions en langage naturel.) On imagine alors aisément toutes les compétences acquises par Google appliquées au domaine de la robotique. Imaginez donc un même robot ayant la capacité de vous comprendre et de vous répondre en puisant dans les données de Search, d’apprendre en analysant vos habitudes voire d’anticiper vos besoins comme le fait Google Now, qu’il soit capable d’évoluer dans votre environnement aussi sûrement qu’une Google Car sur la route le tout prenant la forme d’un robot humanoïde aussi véloce que ceux de la filiale Boston Dynamics…
D’ici quelques années, si Google se tournait vers la robotique grand public, elle suivrait certainement cette voie. Cependant, comme nous l’avions évoqué dans notre précédent article consacré à Google, la société se concentre pour le moment sur le secteur professionnel. Plus précisément, elle semble s’intéresser tout particulièrement au domaine de la logistique (automatisation de la gestion des stocks) mais aussi à l’assemblage des composants électroniques — une tâche généralement dévolue à l’homme en raison de sa complexité.
Et grâce au Wall Street Journal, nous avons appris début février que Google avait trouvé un terrain d’essai idéal pour expérimenter ses robots puisqu’un partenariat a été établi avec Foxconn, l’assembleur taïwanais mondialement connu (responsable notamment de la production des iPhone d’Apple et de l’assemblage de la PlayStation 4). Foxconn emploie plus d’un million trois cent mille personnes en Chine (elles travaillent dans des « villes usines ») et a acquis une triste célébrité en raison de nombreux suicides, d’émeutes dans les dortoirs, de l’emploi d’enfants et des cadences forcenées du travail illégal. Face à ces problématiques humaines et pour des raisons de compétitivité, Foxconn a d’ailleurs commencé à robotiser ses chaînes (dix mille robots en 2012 et l’objectif d’un million pour 2014 : ce chiffre peut paraître énorme mais la Chine, usine du monde, fait face à une flambée du coût que représente la main d’œuvre ; dans ce pays, le revenu moyen par tête a progressé entre 1990 et 2008 de 160 à 200 % et le salaire moyen atteindrait maintenant 6,5 fois le salaire minimum en Inde). Dans ces conditions, difficile pour l’entreprise de rester compétitive sans passer par l’automatisation de ses chaînes, une opportunité pour Google de mettre en place ses propres robots — capables de réaliser des assemblages minutieux. Selon les rumeurs, un nouvel OS dédié à ses bras robotisés pourrait également être en cours de développement : une déclinaison d’Android pour robots…
France 5 à diffusé le 13/02/14 dans son émission C dans l’air un sujet dédié au géant du web intitulé: Google maître du monde .
Une démonstration impressionnante de Tango